Plans et vues

BORDEAUX Fi 40 B 402a

Les représentations d’époque antique ou médiévale des villes sont relativement rares. Pour Bordeaux, comme pour de nombreuses cités européennes, l’image cartographique voit le jour seulement dans les premiers atlas de la Renaissance. Aussi, lorsqu’apparaît la représentation cartographique de Bordeaux vers 1530, la ville existe déjà depuis vingt et un siècles. La ville apparaît d’abord à travers l’œil des contemporains des XVIe-XIXe siècles. Certaines représentations illustrent ainsi l’évolution des techniques cartographiques et les transformations de l’urbanisme bordelais. L’espace cartographié, toujours plus vaste, et sa représentation, toujours plus subtile, convergent pour rendre compte des phénomènes d’urbanisation, de façon de plus en plus précise. Jamais ouvertement expliquées, les intentions des auteurs et des commanditaires de ces représentations sont décryptées. Durant la Renaissance, la ville rend hommage au roi de France, après trois siècles d’alliance anglaise. Puis, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, Bordeaux s’affiche comme un grand port de mer, avant d’être surveillé et réprimé à la suite des épisodes de la Fronde. Enfin, la disgrâce passée, les embellissements urbains des XVIIIe et XIXe siècles dessinent une "ville de pierre", de façon toujours plus géométrique. On distingue donc quatre thèmes qui ponctuent la période des XVIe - XIXe siècles :
Bordeaux rend hommage au roi de France 1525-1580
Bordeaux ville-port 1600-1660
Bordeaux frondeur, dompté, réprimé 1650-1730
Bordeaux géométrique, la « ville de pierre » 1730-1850

Bordeaux rend hommage au roi de France 1525-1580

Bordeaux Fi 40 B 8

Après trois siècles d’alliance anglaise, Bordeaux et la Guyenne sont rattachés à la couronne française à la fin de la Guerre de Cent ans (1453). Cet événement oriente, à la Renaissance, le thème des vues chorographiques ou portraits de Bordeaux : la ville se soumet au roi de France, de façon presque féodale.

La métropole de Guyenne est représentée sous la forme d’un hexagone ramassé sur le méandre du fleuve. Cette forme, qui ne correspond à aucune réalité topographique, peut être assimilée au cercle employé pour symboliser les villes capitales (Jérusalem, Rome, Paris).

La proportion exagérée des édifices antiques (amphithéâtre du Palais-Gallien et temple des Piliers-de-Tutelle) à côté d’autres, ridiculement minimisés (Hôtel de Ville et Palais de l’Ombrière, résidence des ducs d’Aquitaine et rois d’Angleterre), n’a rien du hasard.

Bordeaux expose le prestige de ses origines romaines et met de côté sa longue union avec l’Anglais. En outre, plus que tout autre monument, la citadelle royale du Chasteau du Ha, domine souvent la composition. Cette position traduit l’hommage rendu au roi par un Bordeaux rallié et auréolé de son antiquité.

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Bordeaux ville port 1600-1660

Bordeaux Fi 40 B 402

Au début du XVIIe siècle, l’essor commercial de Bordeaux amène une vision nouvelle, le
grand port de mer. Les lignes d’horizon de la ville et des remparts suivent la courbe du fleuve et accentuent le caractère panoramique du port de la Lune. Au loin, l’arrière-pays viticole alimente le négoce bordelais. Les murailles dessinent la forme d’une coque de navire renversée tandis qu’émergent du tissu urbain les mâts des hauts clochers. La scène navale et les activités des berges sont traitées comme un tableau vivant. Coques, mâts, équipages… Bordeaux est une ville-port, presque une ville-bâteau. Les auteurs de vue emploient divers procédés pour personnaliser ce thème. Là, on intègre la rive droite de La Bastide, son premier plan de maisons et ses navires amarrés ; ailleurs on s’efforce de montrer la cité avec plus de vraisemblance, en évoquant notamment une activité fluviale intense. Toutefois, on note qu’au fil du développement commercial, la vue s’élargit surtout vers l’aval (droite), en direction du nouveau port des Chartrons. Les vues perspectives donnent l’effet d’une ville façade, traitée de manière plus ou moins simplifiée, dont se détache le port de la Lune qui affirme son rôle éminent au sein du grand commerce atlantique.

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Bordeaux frondeur, dompté, réprimé 1650-1730

Bordeaux Fi 40 A 27

Durant la minorité de Louis XIV, les épisodes de la Fronde (1648-1653) auxquels Bordeaux participe activement opèrent un changement remarquable du thème et du mode de représentation. Le style des vues gravées s’estompe au profit de plans géométraux manuscrits levés par des ingénieurs militaires du royaume. Commandées par le pouvoir royal, ces œuvres ont été pour la plupart versées dans des fonds d’archives nationales. Après avoir définitivement maté la ville (1675), la monarchie s’attache à l’absolue maîtrise de son espace. Un soin particulier est apporté au dessin des enceintes, portes, citadelles royales, emplacements stratégiques d’édifices, voies d’accès et grands itinéraires routiers. En moyenne, près du tiers des inscriptions concernent exclusivement les défenses urbaines, alors qu’à la période suivante, ces références s’effacent au profit des noms de rue. Dans la continuité des vues, les plans sont rarement orientés (le nord est à droite) : Bordeaux apparaît presque inaccessible et indépendant, coupé du royaume par le large bras du fleuve. Mais que l’on ne s’y trompe pas. L’agrandissement considérable du château Trompette, les améliorations du château du Hâ et le nouveau fort Louis protègent moins d’une attaque extérieure qu’ils ne surveillent, en définitive, les habitants.

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Bordeaux géométrique, la ville de pierre, 1730-1850

Bordeaux Fi 40 B 608

Le dynamisme démographique et économique du XVIIIe siècle, particulièrement sensible dans les villes portuaires comme Nantes ou Bordeaux, impulse des aménagements urbains majeurs à l’origine d’une nouvelle mise en scène. Si le plan ne peut refléter toutes les facettes de ces mutations paysagères (types de construction, matériaux…), il dit comment la ville s’agrandit en pointant où elle s’agrandit. L’apparence médiévale de la vieille cité disparaît au gré des embellissements à l’origine du caractère remarquable de l’urbanisme bordelais des XVIIIe et XIXe siècles. L’enceinte de ville perd sa fonction militaire pour ne plus définir que les limites de l’octroi. La ceinture des cours efface la cicatrice des fossés et la sublime en une vaste promenade plantée. Les aménagements de tout ordre (jardins, salles de spectacle, façade portuaire, voirie…) sont autant d’éléments qui modèlent la "ville de pierre" selon la pensée rationaliste des Lumières. En parallèle, les fonctions du plan se multiplient. Désormais aux mains de cartographes civils et d’éditeurs, le plan connaît une large diffusion, en particulier au format de poche : on l’agrémente du nom des rues et des monuments, puis d’un index avec carroyage pour une utilisation pratique. Le plan sert aussi à projeter la ville future. On y trace à la règle et au compas des projets d’aménagement toujours plus réguliers. Par l’instauration du cadastre (1807), le plan décuple son potentiel et devient outil de gestion et de prélèvement de l’impôt. Les applications ne cessent de se diversifier et accompagnent, à la période suivante (fin XVIIIe – XXIe s.), les progrès de la science historique.

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