« Washington, nous voilà ! » : le premier voyage en Amérique de La Fayette sur la Victoire

Carte géométrique de l’entrée de la rivière de Bordeaux, 1785, Fi 41 A 71 © Archives municipales de Bordeaux

C’est à bord du navire bordelais la Victoire que le marquis de La Fayette effectue son premier voyage en Amérique en 1777.
La Victoire est un simple navire de commerce. Il a été construit dans le modeste chantier naval de Pierre Bichon, sur la rive droite de la Garonne, au lieu-dit Carriet à Lormont. Le navire est mis à l’eau en août 1771. Si ses dimensions en font un navire de taille moyenne, son tonnage de 268 tonneaux est supérieur à la moyenne des navires longs courrier bordelais de la période 1763-1779 qui est de 237 tonneaux.

Dimensions :
La Victoire (construit en 1771, navire de commerce, 3 mâts) : 22.41 m de long, 7.79 m de large, 3.57 m de creux pour 268 tx.
L’Hermione (construit en 1779, frégate de guerre, 3 mâts): 44.20 de long, 11.55 m de large, 5.78 m de creux pour 1166 tx.

En 1771, lors de son lancement, ce navire est baptisé La Comtesse de Richemond. Il est la propriété de Pierre Rivière, modeste armateur bordelais. Entre septembre 1771 et avril 1775, ce bâtiment effectue trois voyages entre Bordeaux et les Antilles. A son troisième retour, Pierre Rivière le cède au négociant Labat de Serène qui le rebaptise La Bonne Mère. Il accomplit pour cet armateur deux voyages en droiture vers Saint-Domingue entre mai 1775 et février 1777.

Acquisition et armement de la Victoire 
Le 12 février 1777, La Bonne Mère est revendue au négociant Louis Lanoix pour 25.500 livres. Ce dernier le baptise alors La Clary. Le 7 mars suivant, la maison de commerce Reculés de Basmarein, Raimbaux et compagnie achète à son tour ce vaisseau. La transaction est conclue pour 29.000 livres. Il est rebaptisé La Victoire.
Des zones d’ombre entourent encore cette transaction. Si c’est bien cette firme qui déclare la propriété de La Victoire devant les autorités portuaires, est-elle réellement propriétaire de ce navire ? Rien n’est moins sûr, car il semble que ce ne soit pas elle qui ait fourni les fonds nécessaires à son achat. Et contrairement à ce qu’il prétend dans ses Mémoires, il est avéré aujourd’hui que le marquis de La Fayette n’en est pas non plus le propriétaire. C’est le comte de Broglie qui tient absolument à ce qu’il le paraisse aux yeux de tous. Ce sont en fait le baron de Kalb et Dubois-Martin qui dirigent l’opération et traitent en direct avec la maison Reculès de Basmarein, Raimbaux et compagnie.

La cargaison, composée d’avitaillement, d’armes, de munitions et d’uniformes, est financée par le comte de Broglie pour une somme d’environ 112.000 livres.
Le 19 mars, La Fayette arrive à Bordeaux. Entre le 21 et le 24 mars, ses 20 compagnons et lui se rendent discrètement aux bureaux de l’Amirauté de Guyenne pour y signer leur acte d’embarquement. Louis XVI a, en effet, interdit à ses sujets de se rendre en Amérique pour y aider les insurgés. Afin de ne pas éveiller l’attention, les inscriptions sont étalées sur trois jours. Pour la même raison, le marquis de La Fayette se présente comme le chevalier de Chavaillac et signe « Gilbert du Motier ».

Tous ces hommes sont des proches du comte de Broglie. Cet ancien conseiller de Louis XV, chef de ses services secrets, le Secret du Roi, écarté de la Cour par Louis XVI, rêve de venger la France de la défaite de la guerre de Sept Ans face à l’Angleterre. La révolte des insurgés américains lui en offre l’opportunité. Cet esprit de revanche est partagé par beaucoup à cette époque, dont La Fayette.

Le voyage
Avec une trentaine de membres d’équipage commandé par le capitaine Jean Baptiste Le Bourcier, La Victoire est armée en simple navire de commerce seulement défendu par ses 6 canons.
Le 23 mars 1777, les préparatifs achevés, la Victoire appareille des Chartrons, descend la Garonne et fait escale à Pauillac. La Fayette l’y rejoint (en chaloupe ou à cheval) le 25. Le navire sort de l’estuaire le 26 à midi. Le 28, il fait escale à Los Pasajès de San Juan, près de San Sébastien. De là, le marquis repart à cheval pour Bordeaux et à Ruffec pour y rencontrer de Broglie. Cette escale aurait aussi pu servir à compléter la cargaison, notamment par un chargement d’armes. La Fayette rejoint le navire le 17 avril. Le 20, la Victoire lève l’ancre pour l’Amérique.
La traversée transatlantique de 54 jours est particulièrement éprouvante : il faut compter avec les nombreux corsaires et navires de guerre anglais, les vents contraires et le mal de mer dont souffrent La Fayette et Kalb.
Le 12 juin, le navire aborde enfin la côte de Caroline du Sud et mouille à South Inlet près de Georgetown. Le 13, La Fayette débarque pour poursuivre le voyage par voie de terre tandis que la Victoire arrive à Charleston le 18 juin. La cargaison y est vendue par Cribbs et May, correspondants américains de Pierre Reculès de Basmarein. Le navire est immédiatement rechargé avec une nouvelle cargaison, essentiellement de riz destiné à être vendu à Saint-Domingue. De là, chargé de denrées coloniales, le navire doit revenir à Bordeaux.

Mais la Victoire n’est jamais parvenue jusqu’à Saint-Domingue. Il fait naufrage en sortant du port de Charleston le 14 août 1777.


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